BOB VERSCHUEREN

Le sculpteur belge Bob Verschueren est un des cinq artistes associés pour l’exposition inaugurale intitulée “Des sculpteurs et des arbres” en 1992

Quand on aborde une installation de Bob Verschueren, ce qui frappe, dès l’entrée de jeu, c’est l’aspect parfaitement construite de son œuvre qui est limitée dans l’espace avec précision et même méticulosité. Toute altération venant d’un spectateur ne pourrait être qu’une offense. Cette géométrie parfaite est, cependant, composée d’éléments essentiellement mouvants, ceux qui sont dans la nature, qui engendrent de la régularité et de l’irrégularité tout à la fois: en se desséchant, ces éléments se rapetissent et se recroquevillent en des formes proches des mouvements contradictoires de l’art baroque.

Les fragments de nature qu’il utilise sont souvent cueillis dans des terrains en jachère, des fossés et talus qui, par leur défaut d’entretien, donnent accès à l’exubérance de la nature, laquelle produit parfois des plantes abondantes et voluptueuses.

Ces plantes (mises en place souvent dans des lieux sophistiqués, dotés de très beaux matériaux en des agencements très policés), l’artiste les dispose de façon très ordonnée, délicate et précieuse. Les formes géométriques utilisées sont essentiellement le rond, le carré, le rectangle. Les proportions d’insertion dans une pièce revêtent une importance primordiale pou lui puisqu’il les met en dialogue avec l’espace investi.

Dans ses assemblages, il marie les couleurs, ayant recours soit à des plantes différentes, soit à divers stades de maturation: par exemple, une plante jeune-verte est entourée de vert profond ou acide; un roux brulé est associé à un vert sapin.

Non seulement les matières employées se répondent harmonieusement l’une à l’autre, mais aussi il les choisit en fonction des matériaux (pavement, bois, marbre ou autre) qui sont leur support.

Mis en place, ces éléments de nature développent leur vie autonome, évoluent: la structure de ses compositions demeure identique mais chaque partie varie, à la fois de forme et de ton, prenant ainsi l’empreinte du temps, élément essentiel de la méditation de l’artiste.

Cette palpitation de l’œuvre, à travers le temps, est captée et mise en images par la photographie: les clichés composent un processus d’évolution de l’œuvre et demeurent, après tout, les témoignages uniques et durables d’une intervention, par essence fugace.

Parfois, Bob Verschueren utilise le bois, dans des intérieurs comme d’anciennes églises, préférant, dans ce cas, des lieux dépouillés ou vécus par des mystiques. Les formes géométriques utilisées sont alors essentiellement le cône, le dôme et la niche d’église. Ces formes peuvent connaitre deux applications différentes, soit que la pointe en soit tendue vers le ciel, soit qu’elle s’enfonce en terre, dans le cas du cône. La cosmologie est ici signalée et vécue.

Nous entrons dans la sphère de communication terre-ciel, préoccupation de tout temps. La densité des branches mises en action crée un jeu de lumière tamisée. Dans le cadre d’interventions en extérieur, l’ombre portée des fragments de ces installations a une importance très grande: dans la forêt, par exemple la verticalité de l’arbre se prolonge, à son pied, par en trace d’ombre horizontale que Bob Verschueren fleurit.

Parfois, il emploie des racines d’arbres énormes dont le découpage des radicelles s’effectue en suivant la ligne d’une niche: on assiste au passage du massif au très fin, à un passage entre force et fragilité, les radicelles conservant une fluidité de mouvement. Elles se courbent et changent progressivement de teintes.

Ces mutations ont leur propre vie, leurs propres rythmes que l’artiste nous invite à regarder comme lui: elles nous proposent de méditer sur la vie, ses manifestations et son cheminement, rapide ou lent vers le dépérissement et la destruction.

La perpétuelle métamorphose de la vie et de sa matière, surtout végétale, fascine Bob Verschueren non point à travers un regard de psychologue mais par un regard d’artiste pour qui la méditation esthétique est essentielle et compte autant que la réflexion sur le temps, la vie, la mort.

Toutes les démarches de Bob Verschueren induisent une réflexion, de la part du spectateur, sur le temps et ses implications sur la nature et l’humain dont les destins sont imbriqués.

Certaines de ces installations comportent une élévation géométrisée qui rappelle au spectateur toute la richesse des cosmologies qui sont les sources lointaines de nos civilisations.<br />Comment ne pas évoquer, également qu’à travers l’œuvre de Bob Verschueren, nous nous souvenons de certaines de nos racines culturelles et artistiques, comme en peinture où les espaces sont très cernés, où les couleurs sont aussi des matières avec toutes leurs variations et où certains contrastes sont voulus pour exprimer des forces.

Si les photographies de œuvres exposées et prises à des moments successifs montrent les effets du temps sur les installations de Bob Verschueren et les subtilités de l’insertion de son travail dans une architecture, il leur manque simplement un élément important, et c’est la variété des odeurs végétales émanant des installations. Ces senteurs, qui ont une art d’aléatoire car l’artiste ne désire nullment maitriser l’évolution de son œuvre, nous confrontent à une jouissance physique immédiate et sensuelle qui est plus lente que celle du regard et nous retient près de l’œuvre, concrètement.

Si Bob Verschueren nous donne, à travers ses installations, de nouvelles pistes de lecture de la vie et de l’esthétique, il se plait également à déclencher, chez le spectateur, ses facultés oniriques, sensitives et intellectuelles car il veut que la rencontre avec son œuvre se fasse dans la liberté et le respect: à chacun sa “lecture” de son travail en adéquation avec son vécu et la découverte de son être.