DAVID NASH
En 1998, la Fondation a accueilli l’artiste gallois David Nash, dans le cadre de la présidence britannique.
David Nash : Le jardin-niche
Par Andrew Sclater
Une sculpture “organique”, un parc dix-neuvième et un centre d’initiation à l’écologie… telles sont les trois dimensions qui s’offrent aux visiteurs de l’exposition de David Nash au Parc Tournay-Solvay.
Le matériau utilisé par le sculpteur est celui du cœur de la nature, le bois, la vie. Il reflète l’élémentaire. Il incarne les éléments: la terre, le feu, l’eau et l’air – qui ont été au centre de la pensée occidentale pendant plus de vingt siècles. De plus, il est au centre des traditions spiritualistes des philosophies orientales.
Les sculptures en bois de David Nash nous proposent des fragments de la structure nue de la vie. Non seulement de la vie de l’arbre en termes de graines, de cellules, de vaisseaux et de rayons médullaires, mais aussi de notre vie dont il fait partie intégrante sous la forme de pétrole, d’abris, de clôtures, d’armes, d’outils, de jouets, de meubles, … Ou encore de crayon avec lequel nous avons appris à écrire et à dessiner à l’école.
L’œuvre de David Nash peut être lue comme un acte d’insurrection contre les valeurs de notre société industrialisée. Dans le contexte actuel, il est clair que le regard que Nash porte sur la nature a des affinités avec celui des écologistes. Et pourtant ces œuvres organiques sont étrangement la plupart du temps exposées dans des galeries alors qu’elles auraient davantage leur place dans l’environnement naturel dont elles sont issues. Certes, il y a quelques exceptions, comme ce bloc de bois qui, largué dans une rivière de montagne dans le Nord du pays de Galles, dévale vers la mer. Dévaler est un grand mot car, en vérité, il n’avance que lorsque la rivière est en crue et il faudra encore bien du temps avant qu’il n’accomplisse cet interminable voyage qui a débuté il y a près de vingt ans.
David Nash a également sculpté le bois vivant. Or, on l’a rarement vu travailler dans un jardin. Il est clair qu’il lui préfère les endroits retirés et secrets. Pourquoi ? Un jardin serait-il un espace trop apprivoisé pour une œuvre qui interroge la véritable nature de la nature ? Nous pourrions également penser que c’est parce que qu’il est devenu, lui aussi, dépendant du commerce comme tout dans notre société de consommation l’histoire des jardins révèle un rapport constant entre le jardin et la contemplation philosophique. Le jardin d’Eden est le premier exemple d’un jardin en tant que métaphore complexe de quelque chose de plus grand – en l’occurrence les rapports entre l’être humain et Dieu (et sa nature). Dans la tradition européenne, les jardins étaient des endroits empreints d’une grande sacralité. c’est ce qui explique pourquoi dans les abbayes et les monastères, le jardinage était considéré comme une activité très sérieuses.
Cette tradition refait surface à notre époque, avec un glissement d’accent. La ferveur des moines pour leurs jardins a cédé la place à l’engouement du mouvement écologique qui œuvre en faveur de la préservation de sites nettement plus retirés et sauvages : des sites naturels privilégiés où l’intrusion de l’homme prend les allures d’une véritable profanation. Or quiconque se sent concerné par la nature ou la comprend et l’aime, doit pouvoir avoir l’occasion de la vivre de façon authentique. et même si les jardins peuvent paraitre trop ouvragés pour être naturels, ils sont l’interface entre le culturel et le naturel : un endroit où il y a un moyen de vivre en symbiose avec la nature sans lui porter atteinte.
A l’instant d’une galerie qui accueille des sculptures organiques, le jardin occidental a deux points communs ou complémentaires avec les sculptures de David Nash. Le premier est qu’ils se réfèrent tous deux à un passé a-spécifique. Le jardin renvoie au jardin d’Eden que personne n’a jamais vu, mais qui fait partie de l’imaginaire collectif. Les sculptures de Nash renvoient aux Rois et aux Reines, aux couples archétypaux, aux œufs, ainsi qu’à la croix en tant que symbole mathématique et religieux. Marqués par le cycle de saisons, synonyme de mort et de renaissance, les jardins nous parlent de leur passé, de même que dans les sculptures de Nash, les irrégularités du bois évoquent l’histoire d’une croissance. Le second point commun est que le jardin y se réfère, d’une part, à la culture humaine, et, d’autre part, à la nature et à l’inconnu. Ces deux perspectives – l’une du dedans et l’autre du dehors – se retrouvent également dans les sculptures de Nash qui, bien que façonnées par l’homme sont naturelles, qui bien que parlant de la nature sont “surnaturelles” et qui bien que prenant la nature pour modèle ne la représentent pas. Les jardins et les sculptures de David Nash sont un hommage à la nature – un hommage qui est toutefois lié à une transformation.
Et enfin, bien que dans ces jardins et dans ces sculptures, la nature soit évasive, il suffit parfois d’une lueur, ne fut-ce que fugitive et partielle, pour qu’elle se révèle à nous dans toute sa splendeur et toute son impondérabilité.
Le Parc Tournay-Solvay est-il donc un site approprié pour cette merveilleuse collection de sculptures ? Aujourd’hui, le Centre d’initiation à l’écologie établi dans les anciennes étables, opère suivant une double approche. D’une part, il s’attache à préserver le design paysager et l’architecture du parc et, d’autre part, elle s’emploie à préserver, voire améliorer la qualité écologique du site. Autrement dit, il embrasse une philosophie qui respecte à la fois l’histoire, l’esthétique et l’écologie. Dans cet environnement, les sculptures sont en équilibre avec l’écologie.
Qu’en est-il enfin de la troisième dimension de cette exposition, autrement dit de la structure originale de ce parc du dix-neuvième ? Le parc Tournay-Solvay est-il “nature” ou “artifice” ? Il est clair que l’évolution du parc est étroitement liée à l’intervention de l’homme – il est merveilleux exemple de l’architecture paysagère et de l’aménagement des espaces de la fin du dix-neuvième siècle. Le site a des connexions avec les abbayes de Boisfort et était autrement le point de ralliement des chasseurs de la foret de Soignes. Néanmoins, lorsqu’on considère son aménagement, on constate que ses architectes ont gravement porté atteinte à l’honneur, à la préservation et à la compréhension de la nature et ce, même si les normes de l’époque différaient de celles d’aujourd’hui. Pourtant, si l’on considère l’histoire du parc, on se rend compte que son architecte était animé par un réel souci de diversification et de préservation de l’environnement.
Dans cette vallée enchanteresse, Ernest Solvay a réalisé un ensemble harmonieux dans lequel les fleurs et les arbres, les taches d’ombre et de lumière, la terre et le ciel ont chacun voix au chapitre et qui, dans notre optique actuelle, force l’admiration du fait qu’il a élargi le champ de perception du monde. Cet “ouvrage” conjugue en effet des passages qui font écho à l’art paysager anglais avec des couleurs orientales d’arbres tels que les cerisiers du Japon et avec des formes typiquement françaises et italiennes. Chacune de ces facettes peu être lue comme une référence aux diverses “interprétations” de la complexité de la nature. En ornant, ce parc de plantes exotiques, Ernest Tournay a mis en évidence non seulement l’énorme diversification de la nature, mais également le contraste entre ces plantes “nouvelles” et les espèces locales qui prolifèrent “désordonnément” en dehors du parc.
Vers la moitié du dix-neuvième siècle, ce merveilleux site paysager, situé aux confins de la ville et de la campagne, est acheté par Ernest Solvay qui y construit un château en 1878. Jusqu’à la fin des années vingt, la propriété subira cependant encore différentes transformations, dont la plus marquante est certainement l’achat par Léopold II et Ernest Solvay, d’un terrain adjacent visant à préserver le domaine de l’expansion urbain de la fin du dix-neuvième siècle.
Après la mort de Thèrèse Tournay-Solvay en 1972, la propriété est vendue à une société immobilière. Celle-ci se voit cependant refuser tout droit de bâtir, les autorités voulant préserver le site et empêcher qu’il soit envahi par des constructions. En 1980, la propriété est rachetée par le Ministère des Affaires Bruxelloises. Cinq ans plus tard, la Région Bruxelles-Capitale décide d’investir dans le domaine. Une fois de plus, les nouveaux développements s’inscrivent dans le cadre de la préservation de la nature.
La nature est un système dynamique qui ne se laisse pas dominer par l’homme. L’injure du temps laisse partout des marques : il apporte le printemps, avec ses nouvelles pousses et ses fleurs, mais aussi l’hiver et ses violentes tempêtes qui érodent tout sur leur passage, dévalent les couleurs et gauchissent le tronc des arbres. Tel est le cycle de la vie et de la mort qui est l’essence de tout ce qui vit. La science et l’écologie nous expliquent ce phénomène dans un langage littéral. Le jardin nous en parle lui aussi, mais en des termes d’autant plus dramatiques qu’ils exacerbent la beauté et sa tragique précarité. David Nash nous entraine au cœur du problème, en nous confrontant avec la nature iconique et en combinant l’effroi mêlé de respect avec la dimension de la nature dans l’art.
Depuis l’arrivée d’Ernest Solvay sur ces lieux, un siècle et demi a passé et la nature a repris ses droits. Le jardin et l’écologie nous donnent l’occasion de comprendre la nature et de vivre de façon intense les prodiges de la botanique et de la création. le jardinier viendra pour y découvrir de très beaux spécimens horticoles et le naturaliste pour y contempler la flore aborigène. Mais pourquoi regarder d’une manière sélective si le Parc Tournay-Solvay nous offre “tout en un” ? Les enfants qui viennent jouer ici ne font pas de distinction entre les espèces végétales européennes et asiatiques. Ils réagissent tout simplement au miracle de la création, aux mystères du règne végétal qui offre un refuge aux insectes et aux animaux.
Dans le contexte de la nature, nous ne pouvons toutefois jamais perdre de vue qu’il est quelque chose qui se moque de l’écologie, à savoir : la mystérieuse force de la nature. C’est un mystère que David Nash illustre avec la même force dans ses œuvres.
Une rencontre aussi réussie entre la sculpture, l’écologie et l’art des jardins est à la fois inhabituelle et passionnante. Elle est également pertinente puisque l’histoire nous montre qu’ils partagent tous trois une même obsession : aller à l’essence de la nature. Nous sommes persuadés que vous partagerez notre avis si nous vous disons que cette exposition permet au Parc Tournay-Solvay de mettre l’ouvre fascinante de David Nash magnifiquement en valeur.
La nature est trop vaste pour qu’on puisse l’apprécier sans la distiller dans un philtre culturel : l’écologie, la sculpture et les jardins permettent tous trois d’infiltrer la nature. recevoir ce philtre si riche des mains de David Nash, est un véritable privilège.